Sous-sections
Au cours du chapitre précédent, nous avons utilisé des systèmes de
nombres, créés à partir d'un espace vectoriel . Lorsque ces
nombres vérifient certaines relations de changement de base, on a appelé
ces grandeurs, par définition, les composantes d'un tenseur.
Nous avons vu que toute combinaison linéaire de ces composantes constitue les
composantes d'autres tenseurs. On peut donc additionner entre elles les
composantes des tenseurs ainsi que les multiplier par des scalaires, pour
obtenir d'autres composantes de tenseur. Ces propriétés d'addition et de
multiplication font que l'on va pouvoir utiliser ces grandeurs tensorielles
comme composantes de vecteurs.
D'un point de vue pratique, on pourrait se contenter de définir les tenseurs
à partir des relations de transformation de leurs composantes lors d'un
changement de base. C'est ce qui est souvent fait en Physique. Cependant, la
définition des tenseurs sous forme de vecteurs conduit à une meilleure
compréhension de leurs propriétés et les rattache à la théorie
générale des vecteurs.
Pour préciser comment on définit un tenseur sur une base,
étudions le cas d'un produit tensoriel de deux vecteurs constitués par des
triplets de nombres. Considérons l'espace vectoriel euclidien , dont
les vecteurs sont des triplets de nombres de la forme :
. La base orthonormée de est formée des
trois vecteurs :
 |
(3.1) |
Des vecteurs de :
et
, permettent de former les neuf quantités
que l'on a appelées, au cours du chapitre précédent, les
composantes du produit tensoriel des vecteurs
et
.
Si l'on effectue tous les produits tensoriels possibles entre vecteurs de
, on obtient des suites de neufs nombres qui peuvent servir à définir
les vecteurs suivants :
 |
(3.2) |
éléments d'un espace vectoriel à neuf dimensions, ayant pour
éléments tous les multiplets formés de neuf nombres.
Ces vecteurs peuvent être décomposés, par exemple, sur la base
orthonormée :
 |
(3.3) |
Pour écrire les vecteurs
sur cette base, renuméterons les quantités
selon la place qu'elles occupent dans l'expression
(3.2), soit :
 |
(3.4) |
On peut déduire la valeur de k avec la relation suivante :
.
Les vecteurs
s'écrivent alors :
 |
(3.5) |
et constituent un exemple de tenseurs d'ordre deux.
En quoi ces tenseurs
diffèrent-ils des vecteurs ordinaires ? Ils sont
certes identiques à certains vecteurs de mais ils ont été formés
à partir des vecteurs
et
de . Pour rappeler ce fait, on
les notes :
 |
(3.6) |
et ils sont appelés produit tensoriel des vecteurs
et
. Le
symbole est donc défini par la manière dont on a formé les
quantités
et l'ordre dans lequel on les a classés pour
former le vecteur
.
Ainsi qu'on le verra par la suite, tous les vecteurs de ne sont pas des
produits tensoriels mais tous les éléments de peuvent être mis
sous la forme d'une somme de produits tensoriels. On appellera également
tenseur les sommes de produits tensoriels.
Base associée - Le classement des quantités
que l'on a choisi pour définir le vecteur
est
évidemment arbitraire, mais une fois qu'il a été réalisé, ce
classement affecte chaque nombre
à un vecteur de base
e
déterminé.
Ainsi,
constitue la composante du vecteur
relative au
vecteur de base
,
est celle relative à
, etc. Pour rappeler la dépendance entre une
quantité
et le vecteur de base e
auquel il est
affecté, renumérotons ces vecteurs en mettant à la place de l'indice
les deux indices, et , relatifs aux composantes, soit
, avec à 9 ; à 3.
Les indices et étant ceux des vecteurs de base de , on peut
dire qu'à chaque couple
on a associé un vecteur
e
. Ce dernier peut être noté sous la forme :
 |
(3.7) |
et est appelé le produit tensoriel des vecteurs
et
.
Les vecteurs
constituent une base de qui
est appelée la base associée à la base
. Dans cet exemple,
on a donc :
 |
(3.8) |
Les relations (3.5) à (3.7) nous permettent finalement
d'écrire le produit tensoriel des vecteurs
et
sous la forme :
 |
(3.9) |
Produit tensoriel d'espaces vectoriels - L'espace vectoriel
est doté d'une structure plus précise que celle de simple espace
vectoriel de dimension 9 lorsqu'on définit les produits tensoriels
comme constituant la base de . On dit que
est doté d'une structure de produit tensoriel.
Afin de bien mettre en évidence cette structure, on écrit cet espace,
identique à , sous la forme
et il est appelé
le produit tensoriel de l'espace , par l'espace . Tous les
éléments de
sont appelés des tenseurs.
Étudions, à partir de l'exemple précédent, les propriétés du produit tensoriel de deux vecteurs résultant de la relation (3.9), á
savoir :
 |
(3.10) |
On a les propriétés suivantes :
PT1 - Distributivité, à gauche et à droite, par rapport à l'addition des vecteurs :
 |
(3.11) |
 |
(3.12) |
La démonstration de ces propriétés est simple compte tenu de la relation (3.10) : on a par exemple :
PT2 - Associativité avec la multiplication par une grandeur scalaire :
 |
(3.13) |
On a en effet :
 |
(3.14) |
De même qu'on a défini les espaces vectoriels, au cours du premier chapitre,
uniquement à partir des propriétés opératoires entre vecteurs, on va
définir le produit tensoriel de deux espaces vectoriels à partir des
propriétés précédentes.
Pour cela, donnons-nous deux espaces vectoriels et de dimensions
respectives et . Notons
,
,
,... les vecteurs de
et
,
,
,... les vecteurs de de bases
respectives (
) et (
).
Choisissons arbitrairement un autre espace vectoriel de dimension
dont les vecteurs de base sont e
,
. À tout couple de
vecteurs (
,
) faisons lui correspondre un élément de
noté
, tel que cette loi de correspondance vérifie
les propriétés suivantes :
PT1 - Elle est distributive, à gauche et à droite, par
rapport à l'addition vectorielle :
 |
(3.15) |
 |
(3.16) |
PT2 - Elle est associative par rapport à la multiplication par
un scalaire :
 |
(3.17) |
PT3 - Lorsqu'on a choisi une base dans chacun des espaces
vectoriels,
pour ,
pour , les éléments
de que l'on note
, forment une base de
.
Lorsqu'il en est ainsi, l'espace vectoriel , muni de cette loi de
correspondance, est noté
et appelé produit
tensoriel des espaces vectoriels et . L'élément
de
est appelé le produit
tensoriel des vecteurs
et
. La base formée par les vecteurs
est la base associée aux bases
(
) et (
).
L'exemple du produit tensoriel de triplets de nombres, donné précédemment,
montre que le produit tensoriel que l'on vient de définir existe. En pratique,
on n'utilisera plus le mode de construction détaillé dans cet exemple mais
uniquement les propriétés du produit tensoriel et de ses composantes.
Remarque - De par sa qualité d'espace vectoriel,
se confond en tant qu'ensemble d'éléments avec l'espace vectoriel
, mais il s'en distingue en tant qu'espace doté d'une structure
associative supplémentaire. De ce point de vue, on dit que constitue
le support de
.
On va voir par la suite que tous les éléments de
ne sont pas des produits tensoriels mais, dans ce cas, qu'ils sont
nécessairement des sommes de produits tensoriels qui constituent des
tenseurs.
La définition du produit tensoriel de deux espaces vectoriels s'applique
aussi bien aux espaces de dimension finie qu'infinie. En particulier, l'un des
espaces peut être de dimension infinie et l'autre finie.
On va montrer que les éléments
, définis par les
axiomes ci-dessus, s'expriment nécessairement en fonction des composantes
respectives des vecteurs
et
, sous la forme (3.10), ce qui
a priori est évident puisque les propriétés de définition de
sont prcisémment celles de la relation
(3.10).
Recherchons une expression de
en fonction des
composantes de chacun des vecteurs. Choisissons dans les espaces vectoriels
, et
des bases quelconques
et
, où l'indice prend les
valeurs de 1 à et l'indice des valeurs de 1 à . Par suite de la
propriété PT3, on peut poser :
.
Choisissons d'autre part deux vecteurs quelconques :
de et
de
, et effectuons le produit tensoriel de ces deux vecteurs en tenant
compte des axiomes de définition (3.15) à (3.17), il vient :
 |
(3.18) |
avec à ; à . Les quantités
sont
nécessairement les composantes du produit tensoriel
décomposé sur la base formé des vecteurs
.
Réciproquement, la loi de composition des vecteurs
et
donné
par (3.18) vérifie les propriétés PT1 et PT2. En
est-il de même pour la propriété PT3 ?
Bases associées - Pour vérifier la propriété PT3,
il faut démontrer que si l'on a choisi une base
de l'espace produit tensoriel
, où les
vecteurs
et
constitue respectivement des bases de
et , toute autre base quelqconque
de et
de permet d'obtenir également une base de
.
Pour le démontrer, décomposons les vecteurs
et
sur ces
nouvelles bases, soit :
 |
(3.19) |
avec à et à . Les vecteurs
de l'espace produit
tensoriel
s'écrivent sous la forme :
 |
(3.20) |
Le vecteur
s'exprime comme une combinaison linéaire des éléments
. Si
, les composantes
sont toutes nulles et la relation (3.20) montre que les
éléments
sont linéairement
indépendants. Les vecteurs
constituent donc
une nouvelle base de
; ces vecteurs forment la base
associée aux bases
et
.
Précisons de nouveau que l'espace
est formé, par
définition, de tous les vecteurs qui appartiennent à l'espace support
qui a été muni d'une structure d''espace tensoriel. Tous les
vecteurs de
sont-ils des produits tensoriels ? En d'autres
termes, étant donné un vecteur
de
, peut-on trouver deux vecteurs
de et
de tels que :
.
Système incompatible : Pour étudier ce problème,
numérotons différemment les composantes du vecteur
en écrivant :
 |
(3.21) |
avec à ; à ; à . Pour vérifier la relation
:
 |
(3.22) |
il faut déterminer les inconnues et à partir des
équations :
 |
(3.23) |
ce qui est en général impossible car on aura plus d'équations que
d'inconnues.
Examinons par exemple, le cas . On a quatre inconnues et quatre
équations de la forme (3.23) avec . Effectuons le rapport
entre deux de ces équations, on obtient par exemple :
 |
(3.24) |
Ces relations imposent une condition de compatibilité entre les ,
condition qui ne sera pas vérifiée en général pour un vecteur quelconque
de
.
En conclusion, il existe d'autres vecteurs de
qui ne sont
pas des produits tensoriels de deux vecteurs et nous allons voir que ce sont des
sommes de produits tensoriels.
Somme de produits tensoriels - Tous les vecteurs
de
l'espace
peuvent s'écrire sous la forme (3.21).
Utilisant la définition du produit tensoriel, on a :
 |
(3.25) |
avec à , à . Les termes
représentent vecteurs de tels que
. Tout vecteur
de
peut donc s'écrire sous la forme d'une somme de termes :
 |
(3.26) |
Tous les éléments de
sont donc des sommes d'au plus
produits tensoriels de deux vecteurs de la forme (3.26) et ses
éléments sont appelés des tenseurs d'ordre deux.
En pratique, on a très souvent à utiliser des tenseurs formés
à partir de vecteurs appartenant à des espaces vectoriels
identiques. Dans ce cas, les produits tensoriels d'ordre deux sont formés à
partir des vecteurs
et
de et s'écrivent sous la forme :
 |
(3.27) |
où les vecteurs
sont les vecteurs de base de . Le produit
tensoriel de par lui-même est noté
ou encore
.
Non-commutativité du produit tensoriel - Si l'on considère
deux espaces vectoriels et identiques, les produits tensoriels
sont des vecteurs de base de l'espace
et il en est de même pour
. Deux vecteurs de base ne pouvant être
identiques, il en résulte que le produit tensoriel des vecteurs
et
n'est pas commutatif.
Il en est de même pour tout produit tensoriel de deux vecteurs quelconques
et
de . Les
produits tensoriels suivants :
 |
(3.28) |
sont différents puisqu'on a par exemple :
 |
(3.29) |
par suite de la non-commutativité du produit tensoriel des vecteurs
et
.
Changement de base - En tant qu'éléments d'un espace
, un tenseur
est un vecteur de la forme générale
:
 |
(3.30) |
Étudions ses proriétés vis-à-vis d'un changement de base de tel
que :
 |
(3.31) |
Lors d'un tel changement, la base
associée à
devient une autre base
associée
à
, savoir :
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(3.32) |
Par suite, le produit tensoriel
donné par (3.5) a pour
composantes dans la nouvelle base :
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(3.33) |
On obtient donc par identification :
 |
(3.34) |
Les composantes vérifient la relation (2.28)(a) de
transformation des composantes lors d'un changement de base. On retrouve la
même formule de transformation mais en partant des expressions de changement
de base des vecteurs de base de l'espace produit tensoriel.
|